C’est un petit roman d’une poésie à couper le souffle.
Au fil des chapitres, Marthe a douze, seize, dix-huit, dix-neuf et vingt ans. Elle écrit l’histoire de sa famille « pour oublier qu’[ils] n’exist[ent] plus » (p.14). Un récit au présent pour dire ce qui n’est plus, ce qui a été détruit et ravagé par un père violent et taciturne. Un père qui cogne, qui empêche les mots de venir à lui. Alors Marthe, son petit frère Léonce et leur mère, que leur amour inconditionnel ne protègera pas, deviennent muets.
A la ferme, il fallait mâcher les phrases, peser le pour et le contre, répéter chaque émotion en coulisse avant de sentir. Lorsque nous voulons parler, Papa nous renvoie dans nos cordes et nous freinons les mots de lait qui menaçaient de pousser si nous ouvrons la peur qui nous guide. ( Sauf les fleurs, Paris, Libretto, 2015, p. 59)
C’est une histoire d’amour et de violence. L’amour d’un frère et d’une sœur, d’une mère pour ses enfants, l’amour de Marthe pour les animaux de sa ferme et enfin pour les mots et la langue d’Eschyle qu’elle rêve de traduire. Un amour multiple qui naît et s’unit contre une violence unique mais terriblement puissante. Le lecteur comprend, dès le début, que le récit qu’il s’apprête à lire est un drame. La dimension tragique est annoncée au seuil du livre, dans un chapitre qui ne porte aucun titre, qui est le seul a être écrit au passé et qui pourrait constituer le prologue antique à une histoire vieille comme le monde.
Et pourtant, tout relève de l’inédit. La langue, ses images, sa syntaxe, son silence. Nicolas Clément invente une langue pour parler de l’indicible, pour mettre à jour les tabous d’une famille que rien ni personne ne sauvera. Cette langue, qui dévoile pudiquement ses formes, ses contours et ses failles, est d’une finesse prodigieuse. Elle est un bourgeon à peine éclos. Le lecteur ne doit pas s’attendre à ce que tout lui soit dit. Il doit aider les images à venir à lui, il doit laisser à Marthe le temps de lui raconter son histoire. Il doit avoir la délicatesse de Florent, l’amoureux de Marthe, qui lui apprend que le corps n’est pas uniquement le réceptacle impuissant des coups qui pleuvent. Il lui apprend un corps qui lui appartient, sa beauté et son intégrité. Après le drame, Florent est le souffle qui permet à Marthe de devenir, pour un temps.
C’est un texte à couper le souffle, vêtu de la « peau des mots » (p. 61). Nicolas Clément est un orfèvre et Marthe une couturière qui habille sa mère pour recouvrir sa belle peau meurtrie :
J’aime habiller Maman, l’inviter dans ma chambre, recevoir son miroir, couvrir ses cicatrices. Car je voudrais que Maman soit belle sans attendre mes mains, que tous voient ce que je vois, la source de mon or, l’épine qui me guide, son beau visage de travailleuse. (p. 17)
Les mots de l’auteur
Petit prolongement avec ce lien : http://www.editionslibretto.fr/fiche-auteur3375/nicolas-clement .
Sources : YouTube ; Librairie Mollat ; image@CamilleDarreye